j’crois bien qu’on s’était mêlés
même emmêlés dans des ébats
qui s’étaient noués sans débats
car on pensait…
chacun pensait
mais pas pareil
cacophonie
couac au faux nid
on est r’partis
à droite à gauche…

La Rivière saint Sauveur, juillet 2019

Elle parle avec les yeux
– ses yeux bleus clairs si fameux –
sinon on comprend rien
et ça elle le sait bien

ça fait bien au moins vingt ans
qu’elle sort plus d’l’appartement
à présent c’est dans l’séjour
qu’elle égrène ses nuits ses jours
son homme, les soins, télé, sa fille,
ménage, médecins, repas, famille
et ils sont là, tous les deux

c’est à s’demander si Dieu
– qu’ils on oublié peu à peu –
aurait pas oublié à son tour
d’interrompre leur histoire d’amour…

à Marie,
Pont l’Evêque, juin 2019

La boue suinte
à travers nous
joie défunte
qui dégouline
assassine
au point qu'on veut
laisser nos peaux
caniveau
partir squelettes
en retraite...

Mulhouse, janvier 1995

gel
j’ai le cerveau
empâté
enivré
enrhumé
rhume de cerveau
lent
cerf volant
sur la plage
au levant
le vent
m’aère la tête
et envole
mes idées
farandole
macabre
dans les arbres

Lisieux, mars 2019

où qu’elle est la bouteille
dis, l’rougeaud ? l’rouge au
divin château
charnu charnel
et enivrant
forcément ?

bon vin rouge lourd
qui t’assoit
te rend gourd
même pas d’ivresse
un verre de jeunesse
levé bien haut…

y a des r’tours d’âge féroces !
« il suffirait de presque rien… »
Serge, tu parles au passé
décomposé
plus qu’imparfait
d’une soif atroce…

Le Torquesne, octobre 2018

Pleure pas sur toi
tu vas t’mouiller
et puis ? et puis quoi ?
la pièce est jouée
l’public barré
faudra t’y faire
y a plus d’lumière
ni d’réverbère
rue des chagrins d’amour
ce petit chemin
qui sent pas la noisette
et qu’on prend toujours
après le mot : fin.

La Rivière saint Sauveur, juillet 2019

Le camelot des mots d’amour
a déserté pour toujours
les mensonges trop fatigants ;
nous étions ses clients…

La caravane des mensonges
usée, sale comme une éponge,
s’en retombe aux bas fonds
où douc’ment nous marchons…

Le marchand de carapaces
vraiment il manque pas d’audace
quand il garantit à vie
ses boucliers, ses treillis

Mulhouse, février 1995

la peur panique d’être enfermé
jeune, ça fait fuir
lorsque l’av’nir paraît piégé
On court, on vole, on part très loin
drogue, baise, alcool, tout sauf des freins
ma liberté
elle est sacrée
alors on vit
plus comme on peut qu’avec envie
mais c’est pas grave
car c’est nos pas
si on en bave
c’est juste un choix

longtemps longtemps après
la peur calmée
te dit pourquoi toutes ces années
foutues gâchées
à cause de quoi ?
non, faut qu’on cause, assieds toi là
on s’fait une pause, qu’est ce que tu bois ?
file moi une bière
sucrée amère
ça tourne un peu mais sans misère
qu’est ce qu’on va faire ?

ceux qui sont morts
n’en parlons plus
mais les vivants faudrait leur dire
qu’on s’est gourés
qu’on les aimait
c’était une part d’incertitude
en face de toutes leurs habitudes
même à vingt ans ils étaient vieux
ça fout la trouille les gens heureux

si tu dis ça, ça va ouiner
il vaudrait mieux rien dire du tout
passer comme ça « ça va chez vous ? »
on verra bien si ils nous virent
ou s’ils pleurent avec un sourire…

Le Torquesne, septembre 2019